Tennis

Les mots fusent et s’entrechoquent au point que l’on n’y comprend rien. J’assiste, étourdie, à cette cacophonie et me vient l’image d’un court de tennis envahi par des dizaines de joueurs, y allant chacun de leur service, revers ou coup droit dans une joyeuse pagaille. Les balles – les mots – pleuvent, blessant ici ou là compétiteurs ou spectateurs, victimes collatérales de cette anarchie verbale où tous les coups sont permis. Certaines ne s’en relèvent pas, tombées sous le poids de la calomnie, du cynisme, ou pire encore, de l’indifférence, voire du mépris. D’autres abandonnent le court ou les gradins, incapables d’avoir pu retourner compliments ou arguments, ou simplement d’avoir trouvé leur place dans ce tohu-bohu qui les a contraints au silence.

Le bruit est suffocant encore. Il se gonfle comme une rumeur, chahut informe, magma sonore où aucune idée ne parvient à faire son chemin. Inutilité du verbe et du mot, superficialité de l’échange au point que les balles deviennent molles dans les raquettes dont les filets soudain flasques ne renvoient plus rien. Certains quittent les lieux, dépités, rageurs, vexés, ou vainqueurs autoproclamés, gonflés d’orgueil ; les uns ou les autres cherchant dans le public acquiescement ou soutien, miroir égotique ou glace sans tain.

Peu à peu les décibels baissent d’intensité. Il persiste encore un brouhaha un peu lointain où une oreille attentive parvient à capter des bribes de conversation, quelques mots épars, des confettis de paroles.  Après le tumulte de début de partie, les choses s’organisent sans que l’on y prête attention. Peut-être un arbitre y a-t-il mis bon ordre ? A moins que les mots aient pris enfin tout leur sens et que les participants aient renoncé à taper frénétiquement de leurs raquettes pour aller s’installer en bord de court pour assister au match – au dialogue –.

Car ils ne sont plus que deux à batailler par-dessus le filet. Mais quelle élégance ! Services parfaits, revers croisés, coups droits bien francs. Chaque adversaire dans l’observation et l’écoute de l’autre. Respect. Considération. Concentration. Un ace donne l’avantage à l’un, un lob à l’autre. Chacun y va de ses tactiques, de ses ficelles, dans une rhétorique émouvante, convaincante, heureux de cette rencontre où chacun a son rôle à jouer, son mot à dire. Peu importe le gagnant, puisqu’il rendra hommage à son partenaire.

Texte paru dans la revue poétique « La Grappe » sur le thème : Dialogue

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